Aujourd'hui, j'ai vu un article dans le Journal de Montréal qui faisait mention de trois générations de femmes qui faisaient du pole dancing; la grand-mère (43 ans) la mère (24 ans) et la fille (3 ans). La grand-mère a décidé d'ouvrir un studio en Montérégie et enseigne plusieurs classes de pole fitness. Sous l'article, on peut lire plusieurs commentaires très polarisés, mais très peu de commentaires nuancés. Ça va de "C'es vraiment épouvantable d'enseigner ça à une fillette! À quand la danse à 5$?! Où s'en va le monde!!" à "Bande d'hypocrites! C'est un sport comme un autre! Elles sont plus en forme que la majorité des gens et au moins elles ne restent pas assises sur leur cul à manger des frites et à se laisser grossir parce qu'elles ont eu un enfant". Je dois admettre que les commentaires de l'extrême comme de l'autre m'ont fait écarquiller les yeux.
Dans les derniers mois, je me suis souvent posé la question à propos de cette nouvelle activité-sport à la mode. J'en avais d'ailleurs discuté avec une collègue qui, en plus d'être titulaire d'un BAC en sexologie, pratique le mat chinois et enseigne le pole dancing dans un grand studio de Montréal. Je me suis demandée: "En tant que sexologue féministe, c'est-à-dire en tant que sexologue qui prône et souhaite que les femmes s'approprient leur sexualité pour LEUR plaisir, de quel œil je vois cette activité issue d'une industrie lucrative ayant pour but la marchandisation des femmes (l'industrie du sexe)?" J'en suis venue à la conclusion qu'il était impossible d'avoir un avis unilatéral sur la question, et ce, pour plusieurs raisons.
Traitons d'abord du côté féministe de la question: comment pourrais-je m'élever contre une pratique qui peut sembler (et j'insiste sur "peut sembler") réductrice des femmes alors qu'elle est pratiquée par des femmes libres et consentantes? Non seulement elles sont libres et consentantes, mais elles paient pour cette activité. Le féminisme a permis aux femmes de s'émanciper sur beaucoup de points, mais il faut reconnaître que sur le point de la sexualité, le féminisme n'a pas réussi à permettre aux femmes de vivres une sexualité réellement libérée. D'un côté, le féminisme dit aux femmes qu'elles ont le loisir de faire ce qu'elles veulent de leur corps et de leur sexualité et de l'autre, lorsque certaines femmes exposent leur érotisme, les féministes (les mêmes? D'autres? Ce n'est pas clair...) s'insurgent que les femmes sont les esclaves d'une société qui les objectives... Comment se fait-il que les femmes soient en mesure de prendre des décisions en ce qui concerne leur vie, mais que lorsqu'il est question de leur sexualité, elles n'aient plus la capacité de consentir librement?
Plusieurs féministes ont du mal à accepter que des femmes choisissent d'exposer ainsi leur sexualité, ou plutôt, elles contestent que ce choix soit réellement libre et éclairé. Selon plusieurs féministes, le choix n'est pas libre, car l'image de la femme véhiculée dans les médias et dans la sphère sociale est celle d'une femme toujours plus jeune, mince et sexy. Pour être considéré comme une belle femme, il faut entrer dans ces critères. Donc est-ce que les femmes font le libre choix d'aspirer à rester/devenir mince et sexy en pratiquant le pole dancing? Plusieurs féministes croient que non. Mais est-ce que ces féministes ont nécessairement raison? Qu'est-ce que le libre choix au fond? Est-ce que le libre choix n'est pas la possibilité de décider des actions à prendre dans sa vie, y compris les décisions qui vont parfois nous attirer des ennuis ou que nous regretterons? Parce que soyons honnêtes; il existe des femmes qui vont s'inscrire dans ces cours et se juger de l'avoir fait en se disant qu'elles n'ont pas à s'imposer cette norme sociale. D'autres femmes diront qu'il s'agit de la plus belle chose qu'elles auront faite dans leur vie. La même action, la même activité aura des impacts complètement différents d'une femme à l'autre et ce n'est pas possible de mettre tout le monde dans le même bateau.
Maintenant, en ce qui concerne l'aspect sexuel de la pratique. J'admets que lorsque je lis des commentaires invoquant que le pole dancing n'est pas nécessairement érotique et que ça n'a pas rapport, ça me fait sourire. Loin de moi le début du commencement d'une pensée que le pole dancing est une activité facile; il s'agit d'une activité excessivement difficile physiquement. Il ne s'agit pas de placer "la difficulté physique" et "l'aspect érotique" de part et d'autre d'un continuum. C'est difficile, c'est exigeant et ça peut permettre de garder la forme. C'est maintenant réglé :-)
Je ne sais pas si certaines personnes sont déjà allées au cirque, mais il existe une discipline qui s'appelle "le mat chinois". Cette discipline s'articule autour d'une pole verticale et comme dans les autres aspects du cirque, elle n'inclut pas principalement d'aspects érotiques, se pratique généralement nue pied par les hommes et par les femmes. J'admets ne pas avoir fait de recherches, mais je ne suis pas certaine qu'il s'agit d'une discipline qui a explosé depuis les 10 dernières années. Par contre, dans les dernières années, nous avons pu voir une multiplication des studios de danse qui offrent des cours de pole dancing. Lorsqu'on épluche les sites web de ces studios, ont voit une grande quantité de photos de femmes (rarement des hommes) avec des bottes et des talons très hauts (mais pas toujours non plus), des propositions de cours de groupe privé pour des "bachelorette" et des vidéos comme celles-ci et celle-ci sortent en premier sur YouTube. Qu'est-ce qui fait que des femmes choisissent de s'inscrire à un cours de pole dancing plutôt qu'à un cours de cirque de mat chinois? À ce que je comprends, c'est le désir de toucher AUSSI à des aspects érotiques dans l'activité, sans nécessairement que ce soit uniquement autour de cet aspect. Mon objectif n'est absolument pas de démoniser les studios de pole dancing. Je crois par contre, qu'il faut reconnaître qu'il s'agit d'une discipline qui inclus plusieurs aspects érotiques et qu'il ne s'agit pas uniquement de dépenser des calories dans le plaisir. Il y a de ça, bien sûr, mais il n'y a pas que ça.
S'il y a un point que je saisis mal, c'est pourquoi certaines femmes mettent beaucoup d'énergie à défendre le fait qu'il n'est pas érotique d'onduler langoureusement en talons hauts... Ma première question est "Qu'est-ce qui est problématique dans le fait que ça ait une connotation érotique?" Parce que s'il y a une chose avec laquelle je ne suis pas d'accord, c'est que la génitalité ne soit jamais impliquée dans cette activité, car il est impossible que cette prise de contact avec le bassin ne réveille à aucun moment la sphère sexuelle d'une personne. En fait, c'est possible si une personne se dissocie complètement son corps. Mais quel intérêt y a-t-il à se dissocier de cette façon? Pourquoi tenter de reproduire des mouvements très érotiques en éliminant la charge érotique associée?
Dans le même ordre d'idées, j'ai parfois parlé avec des femmes (pas toutes) qui pratiquaient cette activité en me disant qu'elle ne voulait absolument pas que leur chum (ou leur blonde) soit là lorsqu'elles pratiquaient. J'ai aussi observé que la capacité à reproduire les mouvements langoureux à la perfection n'était absolument pas proportionnelle à la capacité d'avoir une vie sexuelle épanouie et excitante. J'ai cru comprendre que pour certaines femmes, c'était même anxiogène que leur chum devient excité à les voir, car elles ne souhaitaient pas nécessairement devoir "gérer" cette excitation. Un peu comme si ça activait à la fois un besoin de se rassurer d'être encore belle et désirable et une crainte de ne pas être à la hauteur dans sa sexualité avec son partenaire. Ce sont principalement ces aspects que je trouve intéressant, voire fascinant en tant que sexologue. Non pas que je ne les comprends pas, mais ces contradictions me font sourire.
Je ne porte pas et ne porterai pas de jugement envers les femmes qui font le choix de pratiquer cette activité. Je constate par contre que cette activité est à l'image de la sexualité de beaucoup de femmes en 2015; beaucoup d'entre elles maitrisent parfaitement le "savoir-faire" sexuel, mais n'ont pas nécessairement atteint l'étape de transférer le savoir-faire au savoir-être et au savoir-vivre (dans le sens de "intégré") de la sexualité. Leur sexualité.
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