Ce matin, Pierre Foglia a fait paraître un texte qui s'intitule "Chasse à l'homme" dans la Presse. Je souhaitais lui répondre ici.

Monsieur Foglia,

Je comprends qu'il peut être frustrant d'avoir l'impression d'être pointé du doigt et traité d'agresseur parce que né avec un sexe à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur. En ce qui me concerne, je fais une distinction entre "les garçons et les filles sont socialisés de façon différente" et "tous les garçons sont pareils". Oui les garçons et les filles sont encore socialisés différemment en 2014. Par contre, l'être humain n'est pas une cruche vide qu'on remplit à coup de socialisation sexiste. Chaque être humain a aussi des caractéristiques individuelles qui influenceront sa façon d'intégrer, ou non, cette socialisation. C'est ce qui explique, d'une part, que tous les hommes ne sont pas des agresseurs, que la majorité des agresseurs sont des hommes, mais que certains de ces agresseurs sont des femmes. D'autre part, peu importe qui est cet agresseur, la même réalité s'applique: l'agression sexuelle est un rapport de force que l'agresseur exerce sur sa victime. C'est pour cette raison qu'on retrouve la majorité des victimes d'agressions sexuelles chez les enfants. On retrouve aussi de façon disproportionnée des victimes avec des handicaps de toutes formes. Bref, les victimes sont des personnes qui auront été perçues par leur agresseur comme une personne possiblement "dominable". J'aimerais pouvoir dire que l'agression sexuelle concerne autant les hommes que les femmes. J'aimerais tant. Mais laissez-moi vous raconter une anecdote qui est arrivée pas plus tard que cet après-midi.

Dans le cadre d'un séminaire clinique, nous avions à étudier un cas réel qui s'adonnait à être d'actualité. Le cas s'appelle "Et si le viol était légal". Il s'agit d'un patient qui participe à une thérapie de groupe au cours de laquelle deux femmes racontent avoir été victimes d'agression sexuelle. Le client leur dit qu'il ne comprend pas qu'elles en fassent tout un plat et qu'ils s'adonneraient bien à un viol de temps en temps si le viol était légal. Les étudiant.es du cours se sont mis à discuter du cas en nommant, entre autres choses, de quelle façon il était possible de réagir dans une situation comme celle-là. Plusieurs étudiantes ont témoigné de leur sentiment d'agression viscérale que leur ont fait vivre ces propos. Je m'adresse alors aux trois hommes de la classe: "Les gars, vous avez reçu ça comment vous les propos du client?" Ils sont unanimes: "Ben honnêtement Sophie? Ça ne m'a pas vraiment affecté".

Est-ce que leur réponse m'a surprise? Non. Elle n'a que confirmé ce que des centaines de femmes disent ces jours-ci: la majorité des femmes vivent avec un sentiment plus ou moins important que la possibilité d'une agression sexuelle existe. Les hommes non. Ils ne connaissent pas cette réalité. Pourtant, le client n'a pas mentionné que seul le viol de femmes devraient être légal. Mais c'est implicite; seules les femmes se sont senties concernées et ont une peur réelle que ça arrive. Parce que ça arrive trop souvent.

Maintenant, en ce qui concerne votre recherche d'une femme qui a été victime d'agression sexuelle qui supporterait votre opinion. En avez-vous trouvé une? Et pourquoi une seule au fait? Une seule Québécoise victime d'agression sexuelle qui partage votre avis, ça représenterait environ 1 / 1350 000. Un sur un million, c'est quoi? C'est représentatif de quoi une personne sur un million? Mais bon, cette personne a droit à son avis.

Ce que je voulais plutôt aborder, c'est pourquoi la quasi-totalité des personnes victimes d'agression sexuelle, et encore plus celles qui ont fait une démarche thérapeutique, ne seront pas d'accord avec vous. Connaissez-vous les deux enjeux les plus importants pour les personnes qui ont été victime d'agression sexuelle? C'est d'être crue. Et que leur agresseur regrette. Crue, car les personnes victimes d'agression sexuelle dévoilent en moyenne à 7 personnes avant d'être crues. SEPT! C'est énorme 7! Ça fait 6 personnes de confiance qui disent que c'est dans leur tête, qu'elles doivent exagérer ou qui nient complètement. Et la principale réparation que la majorité des victimes d'agression sexuelle souhaite avoir, c'est que leur agresseur regrette et présente des excuses. Et ça n'arrive à peu près jamais.


Je serais donc étonnée que des victimes d'agression sexuelle qui ont cheminé soient horripilées de cette démarche, car elles ont souvent elles-mêmes vécu dans le silence et le rejet/déni/ignorance intentionnelle de leur entourage. Chacune d'entre-elles pourraient vous témoigner à quel point elles auraient aimé pouvoir raconter leur histoire sans avoir peur d'être jugée. Et c'est ce qui se passe en ce moment. Des femmes se disent "Ça semble être possible aujourd'hui de parler et d'être crues". Être crue. C'est souvent de ça qu’elles ont le plus besoin.