Cette semaine a été lancé le nouveau programme d'éducation physique et santé
en Ontario et on m'a demandé de commenter la section concernant l'éducation à la sexualité. Le programme, de plus de 250 pages, s'adresse aux élèves de la
première année jusqu'à l'équivalent de notre secondaire deux. Le contenu du
programme a fait beaucoup parler et plusieurs hommes politiques, journalistes,
commentateurs se sont questionnés sur les contenus inclus dans le programme
d'éducation à la sexualité. Les thèmes qui ont suscité controverse et malaise?
L'homosexualité, la masturbation et la pénétration anale, entre autres.
Comme je l'effleurais dans cette entrevue à l'émission 24 heures en 60 minutes, j'observe plusieurs
difficultés lorsque vient le temps d'aborder l'éducation à la sexualité avec des
enfants. D'une part, le sujet est extrêmement émotif, car qui dit "éducation à
la sexualité", dit aussi "éducation aux valeurs". Certains parents sont inquiets
que les valeurs transmises dans les cours d'éducation à la sexualité aillent
dans un autre sens que les valeurs transmises à la maison. Cet élément fait en
sorte que le débat devient très rapidement émotif. Aussi, un des éléments qui
entre en ligne de compte, c'est qu'une bonne majorité d'adultes voit la
sexualité exclusivement avec leurs yeux d'adultes. La majorité des adultes n'ont
pas eu de cours d'éducation à la sexualité lorsqu'ils étaient enfants, donc
n'ont pas vraiment de notions de "comment peut-on faire de l'éducation à la
sexualité avec les enfants". Beaucoup d'adultes projettent leur compréhension de
la sexualité sur les enfants en ne soustrayant pas l'aspect fantasmatique et
érogène de la sexualité, et c'est là le nœud du problème. Une des distinctions
entre les adultes et les enfants, c'est que les enfants ont une idée très
réduite de ce qu'est la sexualité. Les conceptions de "faire l'amour" sont très
abstraites. Ça va de "deux personnes qui se donnent un bisou" à "deux personnes
qui dorment dans le même lit" à "deux adultes qui se frottent ensemble". Mais
les notions de désir, de tension sexuelle, de fantasmes érotiques et de plaisir
sexuel sont des notions presque impossibles à saisir pour eux. Ces éléments ne
font pas partie de leur univers. Même si la réponse sexuelle a pu être
expérimentée par des pressions, des touchers, etc., ces gestes, même s'ils
peuvent avoir amené un enfant à expérimenter le plaisir, ne sont ni anticipés ni
associés à un imaginaire érotique. L'expérience aura eu lieu dans le "ici et
maintenant", mais n'a pas été planifiée.
Comme ces éléments ne font pas partie de l'univers des enfants, il est encore
plus important d'aborder certaines notions de sexualité pour prévenir, par
exemple, les agressions sexuelles. Pourquoi? Par exemple, si un adulte, dans
l'univers de la vie de l'enfant (90% des agressions sexuelles sont commises par
des proches) fait des attouchements sexuels à l'enfant, celui-ci n'a pas la
capacité de comprendre ce qui se passe. L'enfant est capable de ressentir qu'il
n'aime pas les gestes, mais qu'il aime la personne qui les pose. Cette double
émotion peut être complètement déroutante pour lui. La situation peut être
d'autant plus déroutante si le corps de l'enfant réagit (ce qui n'est pas rare
dans le cas d'agression sexuelle). Cela étant dit, ces notions peuvent nous
permettre de comprendre pourquoi il est important de parler de plaisir à un
jeune enfant. On peut lui nommer qu'il y a des "touchers qui font oui" et
d'autres "touchers qui font non" et que si une personne la touche d'une façon
qui lui fait non, qu'elle peut dire non, même si le toucher vient d'une personne
qu'elle aime. On peut aussi lui parler des différentes façons d'aimer: l'amour
entre deux adultes amoureux, l'amour entre un parent et un enfant, l'amour entre
deux amis. Par la même occasion, on lui nomme qu'un adulte et un enfant ne
peuvent pas être des amoureux. Qu'il est impossible qu'un enfant et un adulte
puissent former un couple. Qu'un adulte peut aimer très fort un enfant, mais que
cet amour n'est pas celui de deux amoureux. Ces façons d'aborder la sexualité
sont platoniques, mais elles sont au cœur de la prévention des agressions
sexuelle. Ces notions sont aussi à la base de l'apprentissage du concepts de
consentement. Un enfant à qui ont a appris que son corps lui appartenait sera un
enfant qui, une fois à l'adolescence, sera capable de négocier ses limites avec
un partenaire amoureux et sexuel. Cette habileté permettra aussi de négocier
l'utilisation des moyens de contraception. Ces notions peuvent être abordées
avec des enfants à partir de 18 mois et au fur et à mesure que l'enfant
grandira, nous pourrons ajouter des informations pour nuancer et pour compléter
sa compréhension de la sexualité. Un enfant avec qui la discussion à propos de
la sexualité a été entamée dès le jeune âge aura la capacité de poser des
questions à ses parents pour mieux comprendre. Un enfant avec qui la sexualité
n'est jamais abordée comprend que c'est un sujet tabou, voir inacceptable, pour
ses parents et risque de ne pas lui-même aborder les questions. Il souhaitera
très probablement que ses parents abordent le sujet, mais, comme ses parents, il
sera trop mal à l'aise pour le faire.
Donc pour ce qui est d'aborder la pénétration anale avec un enfant de 6e
année, il y a plusieurs nuances à amener. Tout d'abord, le programme d'éducation
à la sexualité en Ontario aborde les infections transmissibles sexuellement et
par le sang (ITSS) en 6e année. C'est via ce thème que pourrait être abordée la
pénétration anale. Il ne s'agit donc pas d'aborder cette pratique d'un point de
vue moral (est-ce que c'est bien ou mal?) ou encore de l'aborder d'un point de
vue du plaisir (est-ce agréable ou non?). La pénétration anale est mentionnée,
car une des façons, dont une ITSS peut être contractée, c'est via la muqueuse
anale. On peut se questionner à plusieurs effets: est-ce que la 6e année est
trop tôt pour aborder les ITSS? Ne devrait-on pas attendre plus tard avant
d'aborder ce thème? Est-il nécessaire d'aborder cette voie de transmission? À
toutes ces questions, nous pourrions répondre non, tout dépend de notre
tolérance au risque.
Les ITSS (comme la toxicomanie d'ailleurs) sont abordés en 6e année, car
l'entrée au secondaire est, pour bien des adolescents, un moment où peuvent
survenir les premières expériences de consommation de drogue et de contacts
sexuels. Est-il souhaitable que ces premières expériences surviennent à 13 ans?
Non. Par contre, croyons-nous qu'il soit préférable qu'un jeune connaisse les
différents risques associés à une pratique, s'il choisit d'adopter une pratique?
Je crois que oui. Plus nous attentons pour aborder un thème, plus le risque est
grand qu'un adolescent ait expérimenté cette situation avant qu'on lui en ait
parlé. Le risque est donc plus grand aussi que l'expérimentation ait eu lieu
sans prendre en considération les risques, car l'adolescent ne connaît
probablement les risques, car nous ne lui en avons pas parlé. Pour plusieurs
cultures où la virginité est importante, par exemple, il arrive que des jeunes
filles fassent le choix d'expérimenter la sexualité via la pénétration anale
pour conserver cette virginité. Est-ce que ces pratiques sont la norme? Non.
Mais comment être en mesure de cibler les personnes qui pourraient avoir des
croyances erronées? À ce sujet, saviez-vous qu'il est scientifiquement documenté
que plus un enfant est exposé à une éducation sexuelle adéquate, plus l'âge des
premières relations sexuelles est repoussé? Il est donc erroné de croire que
l'éducation à la sexualité amène les jeunes à expérimenter la sexualité; c'est
plutôt le contraire. L'éducation à la sexualité permet aux adolescentes de
pouvoir prendre des décisions libres et éclairées. C'est une façon de les
responsabiliser par rapport à leur propre vie.
Si je reviens à la pénétration anale, il n’est à mon sens pas du tout utile
d'aborder la pénétration anale comme telle pour aborder les ITSS. Il serait tout
à fait possible d'expliquer d'abord qu'est-ce qu'une infection pour ensuite
parler des différents risques de transmission avec leurs différents niveaux de
risque, incluant les poignées de main, partager la même toilette et les
activités sexuelles. Il est alors possible d'indiquer que les pratiques
sexuelles sont des pratiques qui ont lieu entre deux personnes consentantes (on
le souhaite!) dans le but d'avoir du plaisir (cette façon de faire aborde
indirectement la prévention des agressions sexuelles par le fait même). Lors des
activités sexuelles qui sont souhaitées, le vagin des femmes sera davantage
lubrifié et le pénis des hommes pourra produire des liquides (liquide
pré-éjaculatoire et le sperme). Il est donc possible d'indiquer que l'ITSS peut
se transmettre si ces fluides corporels se retrouvent en contact avec les
muqueuses du corps de notre partenaire, y compris si un de ces fluides est sur
nos doigts et qu'on touche à une muqueuse de notre partenaire. C'est à ce moment
qu'on peut nommer les différentes muqueuses du corps humain: le nez, les yeux,
la bouche, le vagin, la vulve, le gland du pénis et l'anus. Est-ce que cette
énumération risque de faire rire? Bien sûr. Est-il nécessaire de se mettre à
nommer toutes les positions sexuelles dans lesquelles ça pourrait arriver? Bien
sûr que non. Plusieurs jeunes seront d'ailleurs mal à l'aise par rapport à ces
sujets et il est possible de le nommer: "Vous savez, il est normal de trouver
que c'est étrange de souhaiter avoir des pratiques sexuelles. C'est une réalité
qui appartient davantage au monde des adultes. Nous vous en parlons maintenant,
car nous croyons qu'il est préférable que vous ayez toutes les informations
nécessaires pour le jour où ça arrivera. Il est possible que ce jour soit dans
de nombreuses années. Le plus important à se souvenir, au-delà des risques
d'infection, c'est que peu importe les comportements que vous essayerez
d'expérimenter, le plus important est d'être à l'aise et de ne pas faire des
choses que vous ne souhaitez pas faire. Écoutez votre voix intérieure et si vous
vous sentez mal, demandez à votre partenaire qu'il ou elle arrête. Dans le même
ordre d'idée, il est extrêmement important d'être à l'écoute de votre
partenaire. Si vous sentez que votre partenaire hésite, arrêtez-vous et
demandez-lui si ça va, s’il ou elle souhaite ralentir. La sexualité, c'est une
des choses les plus intimes qu'une personne a; il faut en prendre soin et ne pas
aller au-delà de ce qu'on souhaite ni au-delà de ce que l'autre souhaite".
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