Depuis les années 2000, on parle beaucoup
de l'hypersexualisation, de la sexualisation de l'espace public et de
l'érotisation de l'enfance. Une industrie incroyable s'est créée autour de ce
phénomène. En fait, il serait plus juste de dire que le phénomène a émergé à la
suite d'une industrie qui a mis sur le marché des produits pour les fillettes
afin qu'elles deviennent des mini femmes sexy. Ce phénomène émergeant au côté
de l'accessibilité au wold
wide web sans réel cours
d'éducation aux médias ni de cours d'éducation à la sexualité formels est
suffisant pour inquiéter bien des parents.
On les comprend les parents; ils sont
inquiets pour leurs enfants. Ils sont inquiets que ceux-ci, ou plutôt celles-ci
tombent dans les griffes de prédateurs sexuels présents sur le Web. Il existe
tellement de reportages et d'émissions sur le sujet que les parents ont peur
pour leurs enfants. De ce que j'observe, la peur et l'impuissance semblent des
émotions bien difficiles à gérer et sujettes à la justification de comportements
irrationnels "pour le bien des enfants". C'est exactement ce qui
s'est passé récemment dans un état américain. Une mère a filmé une vidéo qui
est devenue virale afin de décourager sa fille, et surtout, les potentiels
prédateurs sexuels de l'approcher. Dans la vidéo, la mère oblige sa fille à
dire à la caméra qu'elle a 13 ans et non 19 ans, qu'elle a un couvre-feu et une
heure de coucher, qu'elle écoute encore le Disney
chanel, que le maquillage et les sous-vêtements en dentelles qu'elle
portait sur la photo ne lui appartenaient pas, etc. La vidéo dure de longues
minutes et la mère oblige sa fille à répéter plusieurs fois les mêmes
informations, malgré les pleurs de sa fille, car "c'est pour son
bien".
Certains parents diront: "C'est
efficace! Ça va la décourager et elle ne recommencera pas". C'est fort
possible. Mais la question qui m'intéresse ici est: "Mais à quel
prix?" L'humiliation est très souvent utilisée comme "technique
éducative" auprès des enfants pour "s'assurer que le message
passe". Par contre, ce n'est pas parce qu'un comportement cesse que le
message qui a passé est celui qu'on croit. La réaction de la mère, dans cet
exemple, témoigne de sa crainte qu'il arrive quelque chose de fâcheux à sa
fille. Sa réaction parle aussi de sa crainte de voir sa petite fille devenir
une femme, car elle martèle plusieurs exemples concernant le fait qu'elle soit
une enfant (Disney Chanel, heure de coucher, etc.). La mère indique même
que la jeune fille sera une enfant jusqu'à ce qu'elle quitte la maison.
Il est vrai qu'il est insécurisant pour
beaucoup de parents de constater que leur enfant grandit, que celui-ci quitte
tranquillement le monde de l'enfance pour glisser vers celui de l'adolescence.
Cette puberté naissante est le premier signe visible pour beaucoup d'adultes
que leurs enfants ont une sexualité. Celle-ci devient de plus en plus visible
et il n'est plus possible de la nier. Du côté des enfants en transformation,
les hormones chamboulent leur corps et ils ne savent pas toujours comment gérer
ce trafic. Leur maturation sexuelle arrive plus rapidement que leur capacité de
gérer cette sexualité. Et encore plus rapidement que la capacité des parents de
gérer le fait que leurs enfants auront (trop) rapidement une sexualité
active.
Mais il est important de se rappeler ceci:
il est tout à fait normal pour un.e adolescent.e de tester son pouvoir de
séduction, y compris avec les adultes. Il est de la responsabilité des adultes
de recadrer cette situation. Mais recadrer ne veut pas dire humilier. Il ne
s'agit pas de décourager un.e adolescent.e de souhaiter trouver l'amour et un.e
partenaire amoureux et érotique, mais de lui indiquer les balises où c'est
possible de le faire.
Par exemple, un père pourrait très bien
dire à sa fille: "Tu es magnifique! Si j'étais un garçon de ton école, je
te proposerais d'aller voir un film!" Il ne s'agit pas ici d'un
commentaire pervers de la part d'un père. Il s'agit d'une façon d'indiquer à sa
fille qu'elle est séduisante et que c'est correct qu'elle le soit. Ce père
indiquerait aussi à sa fille qu'il est acceptable qu'un garçon de son âge
s'intéresse à elle et qu'elle n'a pas à avoir peur des garçons. Les mères aussi
peuvent s'impliquer en faisant elles aussi des compliments à leurs filles, afin
que celles-ci ne se sentent pas en compétition avec leur mère. De plus, il est
important de parler à ses enfants de la sexualité en termes positifs. Leur
indiquer que la sexualité est agréable et pas simplement "un mauvais
moment à passer". Beaucoup de mères tentent de prévenir leur fille que la
sexualité, "ça fait mal" ou "que les hommes sont tous des
cochons", mais ces remarques témoignent plus du vécu des parents que de la
réalité.
Sans s'en rendre compte, plusieurs parents
démonisent la sexualité auprès de leur fille. Ils tentent de la protéger
d'elle-même et des prédateurs pour prévenir les agressions sexuelles. Mais en
même temps, ces agissements ne permettent pas à leur fille de développer et de
découvrir la sexualité dans un contexte sain et sécuritaire. Une jeune fille
qui se fait humilier à propos de comportements de séduction qu'elle a tenté de
mettre en place va probablement arrêter ces comportements. Mais c'est surtout
la communication et la confiance dans la relation avec ses parents qui sera
brisée. Ces parents indiquent alors: "j'ai le droit de te faire du mal si
c'est pour ton bien" et coupent le canal de communication. Que se
passera-t-il si cette jeune fille est victime d'agression sexuelle un jour?
Osera-t-elle se tourner vers ses parents?
Françoise Dolto avait une magnifique façon
de parler de l'adolescence; elle parlait du "complexe du homard".
"Au moment de la mue, le homard reste
un moment sans carapace, le temps d’en bâtir une autre. Le homard est
alors vulnérable et fragile, tout comme l’adolescent qui se détache de ses
parents pour partir à la recherche de son identité et que son corps est en
plein changement".
L'adolescence, c'est un
dur moment à passer pour les enfants et les parents. Mais je vous invite à
toujours voir votre enfant comme ce homard en période de mue avant de tenter
des interventions à propos de la sexualité. Invitez-les à une réflexion,
parlez-leur de vos inquiétudes et de vos peurs plutôt que d'essayer de leur
transmettre vos peurs. Le meilleur outil dans la vie d'un individu est le
développement de sa capacité à réfléchir de façon critique. Jesper Juul dit:
"Un enfant blessé dans son intégrité ne cesse pas d'aimer ses parents. Il
cesse de s'aimer lui-même".
2 Commentaires
C'est si triste qu'on réprouve la sexualité chez certaines culture, religion, famille ou individu...
Bien sûr il faut apprendre à nos enfants à dire "non", à se respecter, à s'assurer du consentement de l'autre, à faire la différence en pornographie et réalité, etc.
Ceci dit, la sexualité devrait être vue en terme positif dans le développement d'une personne et d'une relation amoureuse et non comme quelque chose de "mal" qui arrivera un jour à nos enfants... Puisque c'est inévitable, mieux vaut s'en parler sans s'intimider !
***
Que voulez-vous dire lorsque vous dite :
"Les mères aussi peuvent s'impliquer en faisant elles aussi des compliments à leurs filles, afin que celles-ci ne se sentent pas en compétition avec leur mère."
Pourquoi une fille pourrait-elle se sentir en compétition avec sa mère en se qui à trait à sa sexualité ?
Merci,
Francis
Pour répondre à votre question, il arrive qu'on voit des mères qui se sentent en compétition avec leurs filles, qui craignent plus ou moins consciemment que leur fille soit plus belle, plus intelligente, plus drôle qu'elles. Comme elles se sentent menacées, elles tentent de minimiser les qualités de sa fille, la discréditer ou encore, ne rien dire du tout pour encourager sa fille à croître, à explorer et à développer sa confiance en soi. L'idéal est que la mère reconnaisse ce qui l'amène à se sentir en compétition avec sa fille pour comprendre l'origine de ce sentiment et de lui donner un sens pour ensuite être en mesure de jouer son rôle de mère. Plusieurs mères y arrivent très bien d'ailleurs!