Il y a deux semaines, je vous parlais de ce qu’était l’intimité, que ce soit dans les relations avec les autres ou dans la relation avec soi-même. Ce texte a amené plusieurs interrogations et demandes de clarification sur la façon d’être en relation. « Je les entends les mots que tu dis Sophie. Mais je suis pas trop sûr de comprendre concrètement comment on fait ça. Être proche sans être proche… Ça veut dire quoi? On fait ça comment être proche en étant loin? »
Tout d’abord, l’idée n’est pas d’être proches en étant loin, mais d’être proche en étant différents. Être proche sans être proche, c’est ce que j’appellerai ici la fusion. La fusion, c’est d’éviter ou de refuser de voir les différences qu’il y a dans les relations, de les voir comme une menace. Donc comme les différences sont une menace, les personnes dans ce type de relation portent leur regard uniquement sur ce qu’il y a de pareil. Ou encore, tentent de se convaincre que ces différences n’en sont pas vraiment et que ça revient à être pareil. Les conflits surviennent généralement lorsque les différences sont mises en lumière et qu’au moins une des personnes souhaiterait que cette différence disparaisse pour laisser place à l’uniformité.
La fusion est donc intimement liée à la peur de perdre les personnes significatives. Les personnes fusionnelles tenteront donc de mettre en place toutes sortes de stratégies pour mettre fin à cette peur qu’elles n’arrivent pas à tolérer : éviter certains sujets, nier une partie de soi, se soumettre, dominer l’autre, se sauver, éviter d’être dans des relations significatives, etc. Il n’est pas rare que le « désir sexuel » chez les couples fusionnels émerge à la suite d’une situation qui a remis en question la relation. Quel beau véhicule fusionnel que celui d’avoir des contacts sexuels, surtout des contacts sexuels avec pénétration, lorsqu’on a besoin de se sentir proche de quelqu’un.
Le défi pour les couples fusionnels est donc de maintenir le désir sexuel lorsque la relation est harmonieuse, s’ils n’ont pas développé d’autres contextes que la peur pour susciter leur désir érotique.
Un outil plus adapté et moins destructeur pour la qualité du lien dans la relation est d’apprendre à connecter plutôt qu’à fusionner. La connexion permet d’être avec l’autre, de partager du temps avec elle tout en tolérant une saine distance. Prenons l’exemple d’un repas entre ami.e.s pour illustrer cette idée : tout le monde partagera la même table, chacun pourra avoir amené un plat qu’il a lui-même cuisiné et les autres auront le loisir de choisi la quantité d’aliments à mettre dans leur assiette. Et vous remarquerez que malgré cette table partagée, tout le monde mange sur des chaises individuelles. Ni ces chaises individuelles ni les intérêts parfois différents pour les plats ne remettront en question la capacité des convives d’échanger pleinement.
Il en va de même au quotidien dans les relations. Les intérêts divergents, les différences et les opinions qui ne vont pas dans le même sens n’ont pas à être évincés. Certains sujets sensibles resteront toujours, mais le plaisir vient de l’échange, du temps passé ensemble, du processus… et des périodes ou les gens ne sont pas ensemble! Le désir sexuel émergera alors du plaisir de se retrouver, à la capacité de tolérer l’anxiété et même de s’exciter de cette anxiété qui survient lorsque des propositions sexuelles typiques ou nouvelles sont avancées. Un refus ne sera pas perçu comme un rejet, mais plutôt comme une limite de l’autre et la possibilité de trouver d’autres options de connecter.
***Texte originalement paru dans le journal Le Canada Français